Vers 1455.
Paris, Louvre.
Une interprétation très originale du thème de la Pietà
La représentation de la Vierge portant sur ses genoux le corps de son fils mort (Vierge de Piété ou Pietà) est l’un des thèmes les plus répandus en Europe au XVe siècle, en peinture comme en sculpture. Il est associé ici à celui de la Lamentation. Au centre, la Vierge, le visage vieilli par la souffrance et les mains jointes, semble s’être résignée au sacrifice du Christ. C'est sans doute elle qui prononce les paroles, tirées des Lamentations du prophète Jérémie (Lam. I, 12) gravées sur le pourtour du fond d’or. Le corps arqué de son Fils décrit une longue arabesque, la chute de son bras droit faisant écho à celle de ses jambes. Saint Jean l'Evangéliste, l’apôtre préféré, retire délicatement, de ses doigts effilés, la couronne d’épines de la tête du Sauveur et Marie-Madeleine, les cheveux épars, un vase à parfums dans la main, sèche ses larmes. Le mystérieux donateur figuré en marge du tableau sur la gauche à la même échelle que les personnages sacrés, un chanoine reconnaissable à son surplis blanc et à l'aumusse portée sur le bras gauche, ne participe pas au drame sacré mais en a une vision toute intérieure.
La fortune critique du tableau
Aucun document ne nous renseigne sur l’auteur, la date et l’emplacement d’origine de ce chef d’œuvre de la peinture européenne du XVe siècle. Le premier à avoir attiré l’attention sur lui fut Prosper Mérimée, alors jeune inspecteur des Monuments historiques, qui le découvrit en 1834 dans une chapelle obscure de l’église paroissiale de Villeneuve-lès-Avignon. Il souleva l’admiration du public à l’Exposition des Primitifs français, organisée à Paris en 1904, et l’année suivante, la Société des Amis du Louvre en fit l’acquisition pour le donner au musée. C’est Charles Sterling, l’un des meilleurs connaisseurs de la peinture de cette époque qui proposa de le dater vers 1455 et avança en 1959 le nom d’Enguerrand Quarton, aujourd’hui accepté par la plupart des spécialistes.
E. Quarton, une des grandes figures de la peinture française du XVe siècle Originaire du diocèse de Laon en Picardie, Enguerrand Quarton ne nous est connu que par son activité en Provence, attestée de 1444 à 1466. La définition de sa personnalité artistique s’est opérée à partir de deux tableaux admirables, la Vierge de Miséricorde (Chantilly, musée Condé) et le Couronnement de la Vierge (Villeneuve-lès-Avignon, musée) dont la paternité est prouvée par deux contrats de commande, passés respectivement en 1452 et en 1453 entre le peintre et son commanditaire. Par comparaison avec ceux-ci, lui ont été attribués d’autres panneaux peints et enluminures. L’ordonnance monumentale de ses compositions, l’élégance de ses rythmes linéaires, si frappants dans la Pietà, lui viennent peut-être de sa formation dans le Nord de la France, au contact des cathédrales gothiques et des ateliers d’enlumineurs. Sans doute a-t-il vu non loin de là des témoignages du nouvel art flamand, incarné par les frères van Eyck et à son arrivée en Provence des exemples de peinture siennoise du siècle passé comme des tableaux italiens plus « modernes ». De ces diverses influences est né un style résolument personnel, mariant un sens aigu du réel et une volonté décorative.
Source : Musée du Louvre (site web)